Je crois que je l’ai su au moment où m’a posé ce bébé sur le ventre. Je sais que rétrospectivement, c’est facile à dire. Mais, sincèrement, j’ai su que ce serait différent. Que je prendrai avec lui les chemins de traverse ou ceux qui vont de travers. Que nous n’irions pas forcément d’un point A à un point B directement, que nous passerions par d’autres lettres. Pour aller de A à B, pour intégrer le B.A BA comme les autres enfants, comme les autres élèves, nous sommes passés par le CMP, le PAP, l’ESS, la MDPH, l’AESH, l’AEH… Bien d’autres lettres encore, notamment celles qui forment le mot donné par le diagnostic : TDAH et TSA.
J’ai su avant les médecins, avant les professionnels, avant les enseignants que cet enfant- là était particulier, différent, extraordinaire, compliqué… employez les mots que vous voulez. Et puis, il y a eu les premières rentrées.
Dès la maternelle, j’étais cette maman que les enseignants prenaient à part avec ces mots dits à mi-voix : « Je peux vous voir deux minutes. » Commençait alors la liste des imperfections, des dysfonctionnements de mon fils, suivie par l’incompréhension et le désarroi des enseignants sans moyens et sans formation. Il a su lire avant le CP. La maitresse de grande section m’avait dit : ne vous inquiétez pas, il est juste un peu pénible. Regardez, il se débrouille bien, il arrive à faire en quinze minutes tout le travail que les autres mettent la journée à faire ! Oui, bon… il ne fait rien le reste du temps, mais je m’assieds à côté de lui avant la sortie et il rattrape tout.
Il n’est finalement pas « un peu pénible », il est tout à fait atteint d’un Trouble du Spectre Autistique et d’un Trouble Déficitaire de l’Attention (sans Hyperactivité dans son cas). C’est invisible. Pour certains enseignants, si ça ne voit pas, ça n’existe pas. Le gamin est fainéant et mal élevé (il faut savoir que j’ai cinq enfants, j’en ai bien élevé quatre… Concernant le cinquième qui est pile au milieu de la fratrie, il est évident que j’ai essayé de mal l’élever. Pour voir… et cela a certainement justifié des maltraitances graves, répétées, couvertes par la hiérarchie. Et surtout, des maltraitances destructrices qui ont été une charge supplémentaire à porter en plus du handicap.
Il y a le mauvais, mais il y a aussi le bon. Les équipes, certes désemparées, mais qui font au mieux avec le peu qu’elles ont. Les enseignants qui se mettent à hauteur du gamin (ce qui parfois revient non pas à s’abaisser, mais plutôt à s’élever), ceux qui cherchent parce qu’ils ont bien compris que le handicap va aussi les aider à faire évoluer leur pédagogie, à apprendre encore.
Cette année, il a seize ans. Il a beaucoup grandi. Chaque jour, il apprend à s’adapter dans un monde qui n’est pas complètement adapté à lui.. On pense toujours que les aménagements sont faits essentiellement par les valides pour aider les personnes porteuses de handicap. Que nous consentons à mettre des rampes d’accessibilité, du braille sur les boites des médicaments, des heures sans musique dans les supermarchés pour les personnes autistes. On oublie souvent les personnes porteuses de handicap s’adaptent sans cesse. À chaque minute.
Il a seize ans. L’AESH qu’il doit avoir à temps plein n’est finalement présente que quelques heures parce que « ils ne sont pas assez nombreux, les AESH, et que si vous râlez, et bien d’autres enfants n’auront plus du tout d’AESH, on va leur enlever pour donner ces heures- là à votre fils ». Je vais une nouvelle fois batailler pour que ses droits soient respectés. Je vais porter la culpabilité de savoir qu’un autre gamin, à la mère moins opiniâtre, va perdre en droits. Je vais devoir me battre une nouvelle fois contre le système pour qui l’inclusion n’est qu’un mot. Une coquille vide. Tant qu’on ne mettra pas les moyens pour une réelle inclusion, tout le monde sera en détresse : les enseignants qui ne peuvent pas être magiciens- éducateurs, les parents qui sont vraisemblablement un peu coupables (de ce que vous voulez) et surtout les élèves qui se retrouvent en réelle souffrance.
À quel moment comprendra-t- on que l’inclusion à l’école coûte certes, mais que c’est une chance pour que tous ces gamins soient finalement autonomes, en capacité de travailler et d’être insérés dans la société. Alors, parlons rentabilité, ce mot si cher à nos dirigeants : nous aurons tous à gagner à faire une réelle inclusion. Dès le début de la vie et pour celle de chacun, soit respectée et libre.
Marion