Pour ce premier numéro, vous allez découvrir le premier portrait, d’une longue série, d’un athlète paralympique français. Nous avons discuté avec Ludovic Lemoine, membre de l’équipe de France de para-escrime, en route pour Paris 2024, et qui nous a partagé en quelques mots, ses 20 années de carrière en haut niveau. Ainsi, de retour des championnats du monde de para-escrime mi- octobre, en Italie, Ludovic Lemoine, para-sportif de haut niveau accompli, originaire de Clermont-Ferrand, et en marge de qualification pour les Jeux de Paris 2024, a répondu à nos questions.

Ludovic, pour commencer, qui es-tu ?
Je suis Ludovic Lemoine, membre de l’équipe de France d’escrime handisport. Je suis totalement amputé de la jamb droite suite à un cancer du fémur, qui s’est manifesté quand je n’avais pas tout à fait 5 ans. J’ai été amputé à l’âge de 6 ans après avoir essayé différents traitements pour tenter de sauver ma jambe. Par la suite, j’ai découvert l’escrime à l’âge de 8 ans, et j’ai gravi les échelons petit à petit. Je suis au niveau international depuis 2003, donc ça fait 20 ans maintenant ! J’ai eu plusieurs médailles en grand championnat, avec notamment 2 médailles paralympiques obtenues au fleuret par équipe. Je réside actuellement à Clermont-Ferrand, et je travaille en banque en parallèle de mon activité sportive. J’ai une petite fille qui a 6 ans et puis je suis en route pour Paris 2024 !
Si tu devais revenir sur le début de ta carrière, comment a-t-elle commencé ? Comment es-tu arrivé là où tu en es aujourd’hui ?
Mes parents savaient que le sport allait pouvoir m’aider, et allait être un excellent moyen de rebondir après mon amputation, ils m’ont donc tout de suite incité à me bouger pour une activité sportive. De là, comme ma famille a toujours été très tournée vers les arts martiaux, naturellement, au début, je voulais comme papa et maman, faire des arts martiaux, et donc ils m’avaient inscrit au judo. J’ai fait un peu de judo quand j’avais 7-8 ans, mais on a vite vu que le principe de faire tomber l’autre quand on est soi-même sur une jambe, la marge de progression était un petit peu limitée ! Par la suite, mes parents ont contacté la Fédération Française Handisport qui leur a dit que dans ma ville, à Vannes, il y avait un club d’escrime handisport, parmi lequel un homme et une femme étaient médaillés paralympiques, et dans lequel leur maître-dame qui leur avait tout appris exerçait toujours. J’ai alors débarqué à 8 ans, avec de grands champions à mes côtés dans le club. Évidemment, dès qu’on m’a mis un fleuret dans la main, je me suis tout de suite pris pour un chevalier ! J’ai tout de suite accroché à l’idée de l’escrime et je suis immédiatement tombé amoureux de ce sport. Ça m’a réellement donné envie de creuser le sujet, de me développer, et d’apprendre de nouvelles techniques.
Qu’est-ce qui te plaît aujourd’hui dans ta discipline ?
Pour moi, c’est à la fois l’aspect technique, extrêmement complet qui fait qu’on ne peut jamais tout maîtriser parfaitement, on est toujours en train de réapprendre des choses. C’est un sport aussi très physique qui demande beaucoup de tonus. Et surtout, l’aspect stratégique qui est un petit peu comme une mini partie d’échecs qui déroule à cent à l’heure quoi !
Et si tu devais identifier quelques particularités propres au para- escrime par rapport à la pratique valide, ça serait quoi ?
Ah ! La particularité principale, c’est que tout le monde est en fauteuil, on ne peut pas utiliser les jambes. Donc ce qui est une vraie force du para-escrime, c’est que n’importe quel escrimeur où escrimeuse peut se mettre dans un fauteuil roulant en face de nous. Dans ce contexte, ça va venir annuler son avantage de jambes, et nous pourrons simplement discuter de la technique de mains. Ça surprend beaucoup les valides ! Ensuite, c’est la position qui est très proche entre les adversaires, avec le fauteuil, on ne peut pas reculer et utiliser ses jambes pour aller plus loin, à la différence du sport valide. Quand on est attaqué, et même si on peut basculer un petit peu le buste en arrière, on ne peut se mettre totalement hors de portée de l’adversaire.
Au quotidien, qu’est-ce que ça représente d’être un athlète de haut niveau en para-escrime ?
Alors, ce sont beaucoup de choses ! J’ai coutume de dire que depuis 2 ans mon quotidien, c’est d’avoir 6 métiers en un. C’est d’être donc para athlète, avant tout. Je me consacre beaucoup à mon activité sportive en étant pleinement engagé dans le parcours de sélection de Paris 2024 qui est très long et très exigeant puisque c’est un parcours qui a commencé en novembre 2022, qui dure jusqu’en mai l’année prochaine avec une échéance internationale de qualification à peu près tous les mois et demi. Ensuite, je travaille en banque à côté, et j’ai une grosse part de détachement afin de me consacrer à mon sport. Et pour le coup, ce n’est pas le cas de tous les athlètes, c’est souvent loin d’être évident. Sur les moments libres, je m’occupe de ma fille pour garder une activité familiale, parce que c’est quelque chose qui me tient vraiment à cœur d’être le plus possible avec mes proches ! Au-delà de ça, je suis le chef d’orchestre de mon projet sportif et je suis amené à gérer toute la partie administrative (réservation pour les compétitions, sollicitations, mails, budget, notes de frais…). Et enfin, que ça soit en tant que para-athlète comme de nombreux athlètes valides, ce n’est pas toujours évident de réussir à trouver les budgets nécessaires pour la préparation sportive. Pour cette raison, j’ai développé une activité autour de mes réseaux sociaux depuis 2 ans maintenant (production de contenu, démarchage, entretien des relations partenaires…). Voilà donc ça fait 6 activités et ça fait de bonnes semaines ! Un vrai chef d’orchestre !
Et aujourd’hui, Paris 2024 en ligne de mire, qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Ça serait une médaille, mais pour l’instant, il n’y a rien de fait encore. Ça serait bien sûr aussi l’aboutissement d’une carrière sportive qui a été très riche. En 2016, après les Jeux de Rio, je me suis cru retraité, et j’avais mis ma carrière entre parenthèses. Quand Paris a été élu, ce fut très rapidement pour moi une évidence. Je ne pouvais pas ne pas tenter ma chance. J’ai toujours été extrêmement intéressé par ce qui entoure l’événement, son ampleur, le dépassement de soi, la « saine concurrence »…. Enfin voilà toutes les valeurs de l’olympisme qu’on peut retrouver et ça m’a toujours tenu extrêmement à cœur. Donc vivre les Jeux en tant qu’athlète, c’est déjà très compliqué, alors pour un sportif de haut niveau avoir l’occasion de les vivre à domicile, c’est juste une chance incroyable ! C’est une très belle fête du sport et j’ai vraiment à cœur de tout donner pour apporter ma pierre à l’édifice.
En revenant sur ton long parcours, aurais-tu aussi une anecdote à nous partager ?
Une anecdote ? Ah, il y en a beaucoup !! Ce qui a été vraiment des moments les plus prégnants, au fond de moi-même, c’étaient les Jeux de Londres. J’avais rêvé pendant 15 ans de l’entrée dans le stade pour la cérémonie d’ouverture, et je m’attendais à vivre un moment intense, et à pleurer. Et au bout du compte, même si c’était un excellent moment, et fabuleux, dont je me souviens, ce qui m’a le plus pris au fond de moi, c’est pendant les épreuves, au moment de l’attente dans la chambre d’appels. En rentrant dans la salle de compétition, l’ambiance était démente par rapport à nos compétitions habituelles. Il y avait un très grand nombre de spectateurs dans la salle, les gens tapaient des pieds, et l’émotion était gigantesque ! Et c’est là où je me suis dit, ça y est, j’ai 15 ans de carrière qui vont s’accomplir maintenant, dans les 20 minutes qui arrivent. J’ai vraiment pris une dose d’adrénaline !
Enfin, pour toi, [In]visibles, qu’est-ce que ça symbolise ?
Alors, je pense que tu peux avoir plusieurs grilles de lecture à ça. Pour moi, c’est déjà la notion de handicap visible et invisible qui est prenant. Ça me renvoie aussi, d’une certaine façon, on va dire, au manque d’images que les para-athlètes en France peuvent avoir et c’est justement leur apporter une vitrine pour les mettre en avant, ce qui est une super chose ! À 37 ans, ancien capitaine de l’équipe de France de para-escrime, Ludovic la encore quatre échéances aujourd’hui pour se qualifier pour Paris 2024. Malgré des quotas très relevés, la motivation et la détermination de Ludovic devraient vous inspirer !
Ecrit par Daphné Perroud