Paris 2024 : Le portrait de Alizée Agier

On parle de sport dans ce troisième numéro : découvrez le portrait de Alizée Agier, athlète olympique en équipe de France de Karaté. Atteinte diabète de type 1 à l’âge de 19 ans et sportive de haut niveau, Alizée conjugue depuis son diagnostic une gestion minutieuse et un suivi régulier pour poursuivre son rêve sportif.

Alizée, veux-tu te présenter en quelques mots et nous parler de ta carrière sportive ?
Je m’appelle Alizée Augier, j’ai 29 ans. J’ai commencé le karaté à l’âge de cinq ans dans une petite ville de Bourgogne dont je suis originaire, et j’ai toujours grandi avec le karaté auprès de moi. J’ai été détecté à l’âge de quinze ans pour partir en sport études, qui a été l’un des tremplins dans ma carrière, puisqu’après les premières sélections en équipe de France se sont enchaînées. Depuis, s’ensuit de bons résultats depuis pas mal d’années et j’ai aujourd’hui en ligne de mire les Championnats d’Europe au mois de mai. À côté de ça, je suis devenue diabétique à l’âge de 19 ans, diabétique de type 1, et donc forcément je me suis posée beaucoup de questions par rapport à ma pratique sportive qui était déjà plutôt bien lancée. Mais j’ai tout de suite été rassurée pour la poursuite de ma carrière, et d’autant que j’avais à cœur de montrer que l’on pouvait être sportive de haut niveau, en continuant à avoir de grands objectifs sportifs, tout en étant atteinte de diabète de type 1.

On imagine que de vivre avec la maladie en étant athlète de haut niveau, ça exige une certaine organisation au quotidien, comment le vis-tu ? Comment gères-tu ta pratique ?

De toute façon avec ou sans maladie, le sport de haut-niveau nécessite une certaine organisation et rigueur malgré tout. Mais c’est un équilibre que j’ai trouvé avec le sport et je le vois quand je pratique une activité sportive régulière, mes glycémies sont plus faciles à gérer et plus conciliantes par rapport aux longues périodes où je suis plutôt au repos ou en vacances. Mais je pense que grâce au karaté, et à la rigueur dans ma pratique sportive, j’ai pu la retranscrire du côté du diabète et de mon suivi. Souvent, il faut aussi trouver une certaine souplesse malgré tout, pour prendre du temps dans les moments compliqués où la glycémie n’est pas très conciliante, et se dire, aujourd’hui, j’ai fait de mon mieux, ça n’a pas fonctionné comme je le voulais, mais demain sera un autre jour. Et puis, finalement, c’est un peu comme tout sportif de haut niveau, il y a des compétitions sur lesquelles il performe, et d’autres parfois où ça ne fonctionne pas. C’est un peu pareil avec le diabète, on fournit des efforts au quotidien, et parfois, la glycémie n’est pas conciliante, mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas fourni les efforts suffisants. Il faut aussi savoir prendre du recul par rapport à ça, car toute la complexité du diabète, c’est que c’est 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. D’une personne à une autre, on peut manger le même plat, mais la glycémie va réagir différemment. Donc on est un peu notre propre médecin, on prend des décisions chaque jour qui vont impacter la suite de notre journée. Et le sport, c’est aussi un exutoire dans tout ça, dès que je mets le kimono, que j’ai vérifié ma glycémie, je me fais confiance en termes de sensations, et une fois que je me suis lancée, je mets un peu tout
ça de côté !

Et dans ce contexte, comment le staff sportif a-t-il réagi ? Comment ont-ils appréhendé ta maladie ?
Dès le départ, il n’y a pas eu de traitement particulier, bien sûr, ils me demandent régulièrement si ça va, mais c’est surtout toute une relation de confiance qu’il y a entre eux et moi. Ils savent que je fais de mon mieux et s’il faut que je prenne cinq minutes pendant l’entraînement pour manger un morceau ou pour vérifier ma glycémie, il n’y a pas de problème. Ils savent que si je le fais, c’est qu’il y a besoin de le faire. Mais sinon, je m’entraîne comme tout le monde, ils sont à l’écoute et veillent à ce que tout se passe bien.

As-tu déjà eu des situations en compétition où ta maladie t’a posé des difficultés ? Est-ce que ça t’a déjà handicapé dans ta carrière sportive ?
La gestion de la glycémie en compétition, forcément, elle est différente de l’entraînement parce qu’en compétition il y a forcément tout le stress qui joue et qui a un impact aussi. J’ai plutôt à gérer des hyperglycémies en compétition. Alors je me fais mon injection avant l’échauffement comme ça, je sais que ça aura agi une fois que j’aurai terminé et ma glycémie ne va pas s’envoler. En tout cas je n’ai jamais eu besoin de m’arrêter en compétition à cause de ça, je suis quand même contente car ça n’a jamais été un problème jusqu’à présent.

Est-ce que c’est nécessaire d’avoir une personne pour t’accompagner sur cette gestion de stress ?
J’ai eu là-dessus un préparateur mental il y a deux ans. Maintenant je dirais que j’ai des outils nécessaires et j’ai mis des choses en place depuis pas mal d’années. J’ai quand même pas mal d’expériences aujourd’hui, et ça me permet d’avoir une certaine maturité pour gérer le stress des compétitions. Finalement, le stress sera toujours là, mais c’est plutôt savoir comment l’appréhender et quoi en faire pour qu’il ne me bloque pas. Et puis c’est le stress qui me permet d’être en alerte et instinctive au moment du combat, donc j’ai mes routines qui sont déjà établies. Et si un jour j’en ai besoin, je pourrais reprendre un préparateur mental. Mais en tout cas, pour un sportif de haut niveau ou pas, le côté mental est hyper important quand on a une maladie chronique qui demande beaucoup de ressources au quotidien car ça peut être épuisant. C’est pour ça qu’il est important d’avoir un entourage et des personnes sur qui se reposer et en discuter. La communauté diabétique aussi c’est intéressant car qui peut mieux me comprendre qu’une personne elle-même diabétique ? Donc c’est un moyen de faire de belles rencontres, et ça permet de souffler.

Est-ce qu’il y a beaucoup d’athlètes de haut niveau aujourd’hui atteints de diabète ?
Oui, il y a différents sportifs : footballeurs, rugbymen, et beaucoup de personnes qui font de la course à pied. Il y a pas mal de personnes, qui, au-delà des barrières, se lèvent pour se donner des objectifs. Et puis, c’est un cercle vertueux de se dire je me donne des objectifs, j’avance au fur à mesure, et je me félicite pour avancer au quotidien. Au-delà du diabète, je pense que ça permet d’avoir un exutoire pour penser à autre chose et prendre du recul.

Existe-t-il des ressources pour accompagner les sportifs de haut niveau dans cette situation ?
Oui bien sûr et notamment sur les réseaux sociaux. Maintenant, il y a pas mal de témoignages de personnes, sportives ou non, pour parler du diabète, de leur quotidien, de leurs expériences dans différents domaines, et c’est super enrichissant ! Finalement, on apprend les uns des autres et c’est toujours bon d’écouter le partage d’expérience de chacun.

A-t-on déjà évoqué le fait pour des personnes atteintes de diabète de rejoindre le mouvement paralympique ?
Non jamais, je concours dans les disciplines olympiques, et ça n’a jamais été discuté pour le karaté.

Ça n’a donc jamais été classifié comme un handicap dans le cadre de la pratique sportive ?
Non, après il y a des personnes, si elles ont des complications plus tard, qui peuvent entraîner un handicap à ce moment-là, oui. Je parle de complications, comme pour les personnes qui ont un déséquilibre après beaucoup d’années, des plaies, ou ceux qui peuvent avoir des amputations, ou bien des troubles de la vue… Mais si on arrive à bien gérer notre glycémie au quotidien, et à faire notre maximum au long terme, on vit comme tout le monde.

Et du point de vue des médecins, quand on parle de carrière de haut niveau et du diabète de type 1, est-ce qu’ils ont des contre- indications ? Comment est-ce perçu ?

C’est la première chose que m’a dite mon médecin, il a voulu me rassurer tout de suite concernant la pratique du sport au niveau et du diabète. Il m’a préconisé de faire un sport en tout cas, et après à haut niveau ça se gère différemment. Il m’a tout de suite rassurée et ne m’a pas mis de barrières par rapport à ça. Après ça peut être différent en fonction des personnes.

Pour toi, comment appréhendes-tu l’évolution de la maladie ?

Alors les traitements évoluent, et c’est plutôt la technologie qui évolue beaucoup par rapport au diabète de type 1. Par exemple, les capteurs de glycémie qui nous facilitent un peu le quotidien, ou les pompes qui évoluent et qui ont tendance à aller vers des pompes à boucles fermées. Elles sont reliées aux capteurs en fonction de ce qu’on mange, et c’est l’intelligence artificielle qui va calculer la dose d’insuline qu’il nous faut. Donc, il y a des évolutions du côté technologique. Ce qu’on préférerait, c’est pouvoir inverser la tendance et ne plus être diabétique, mais en tout cas ce sont des avancées qui apportent du confort. Les capteurs, par exemple, j’ai juste à regarder mon téléphone pendant l’entraînement si je veux savoir ma glycémie, donc ça prend deux secondes.

Paris 2024, qu’est-ce que ça symbolise pour toi ?
Pour nous, on est sorti du programme olympique ! On est rentré pour 2020 et malheureusement, ils ont sorti le karaté pour 2024. Donc, on n’a pas vraiment d’explication à ça ! Il n’y aura donc pas de karaté aux Jeux alors qu’il y a beaucoup de personnes qui pensent que c’est ancré. C’est pour moi un sport qui reste quand même assez familier de beaucoup de personnes, mais, malheureusement, on est sorti du programme malgré des résultats sportifs très intéressants sur les derniers Championnats du monde en 2023, où l’on fait par exemple deux médailles d’or et deux médailles de bronze. On a des Français qui sont performants !

Alors quels vont être tes objectifs sportifs sur les prochains mois ?
L’open de Paris à la fin du mois, qui est une grosse compétition internationale. Et derrière, il y aura différentes compétitions à l’étranger pour se préparer et se sélectionner pour les championnats d’Europe, donc les fameux, qui auront lieu au mois de mai.

Pour terminer, aurais-tu un message à faire passer à des personnes qui pourraient être diagnostiquées ou qui sont diagnostiquées de diabète ?
C’est de ne pas abandonner le rêve, de trouver une passion, de trouver quelque chose qui nous passionne. Bien sûr, la gestion du diabète ce n’est pas toujours évident, mais il faut essayer de garder le moral, de prendre du temps pour soi, et puis de ne pas oublier que l’on fait de notre mieux au quotidien. Il faut se féliciter et avancer pas à pas.

Interview faite par Daphné Perroud.