Portrait de Charlotte, cofondatrice d’Omni

Charlotte Alaux est une jeune femme déterminée, pétillante et engagée. Depuis l’âge de 4 ans, elle mène une vie à 100 à l’heure en fauteuil roulant. Elle est aujourd’hui cofondatrice d’Omni, start-up qui veut révolutionner la mobilité des personnes en fauteuil roulant en adaptant la trottinette électrique.  En parallèle, la trentenaire communique avec humour et pédagogie sur Instagram pour déconstruire les préjugés. Pour (In)visibles, elle retrace son parcours et nous parle de son quotidien d’entrepreneuse chez Omni. 

Quel a été ton parcours jusqu’à l’entreprenariat avec Omni ?

 Rien ne me prédestinait à devenir entrepreneuse. Petite, je voulais être pédiatre car j’ai eu une leucémie, qui m’a paralysée, donc j’avais la vocation de sauver des enfants malades. J’ai fait quelques mois en fac de médecine mais j’ai arrêté car l’esprit compétitif de concours n’était pas mon état d’esprit. J’ai bifurqué en école de commerce. J’ai fait un Erasmus à Madrid et quatre ans dans une filiale d’Airbus. Quand j’ai rencontré mes futurs associés, j’ai eu un déclic, mon rêve de petite fille d’aider des personnes qui avaient vécu des choses difficiles, j’allais pouvoir le réaliser autrement.

 Qu’est-ce qui te plaît dans l’entreprenariat ?

 Avec l’entreprenariat, on identifie un problème, on trouve une solution et on la déploie à grande échelle et on voit le quotidien de milliers de personnes se transformer radicalement. Grâce à notre solution, on voit des personnes qui n’osaient plus sortir de chez elles qui ont retrouvé une vie quasi normale. Elles surmontent les obstacles qu’elles rencontraient dans leur quotidien. On prend goût à cette magie de l’entrepreneuriat. Mais cela ne veut pas dire que c’est facile, le quotidien d’Omni c’est le même que dans beaucoup de start-ups. Même avec une bonne idée, si elle est mal exécutée, ça ne peut pas fonctionner donc il faut être à la fois ingénieur, commercial, créatif, communicant, manager. C’est des montagnes russes, un ascenseur émotionnel. Ce sont de nombreux challenges. On doit développer une stratégie de communication, trouver des investisseurs, industrialiser le produit, assurer une chaîne de SAV, recruter, participer à des salons, apprendre à prendre la parole en public, vulgariser nos sujets auprès des pouvoirs publics et des entreprises. Ce sont mille projets qui n’en font qu’un. C’est épuisant mais stimulant. Aujourd’hui, je me consacre beaucoup à « l’incarnation » pour faire connaître notre solution, montrer le champ des possibles aux personnes à mobilité réduite et valoriser une autre vision du handicap axée sur la joie de vivre et les solutions. Je pense qu’il faut impérativement déconstruire les tabous et les représentations. Régulièrement dans les médias, cela prend un air dramatique. Quand on parle aux gens dans la rue du handicap, la première pensée c’est le Téléthon. C’est une image difficile et des handicaps très lourds, des histoires compliquées. C’est une réalité très importante pour moi, il faut continuer de la montrer pour faire connaître ces quotidiens et trouver des fonds pour la recherche mais malgré tout cela ne doit pas être la seule image du handicap dans les médias. Depuis enfant, on met des tabous sur le handicap, ne pas en rire, ne pas en parler. Cela part d’une bonne intention pour ne pas blesser les gens mais cela créer des tabous difficiles à déconstruire. Le résultat est que la plupart  des gens ne savent pas comment réagir face à une personne en situation de handicap. On évite d’en embaucher dans les entreprises, on ne les consulte pas pour aménager des espaces publics par exemple, donc les conséquences sont énormes et compliquent la vie de milliers de personnes. Selon moi, c’est important de parler du handicap avec légèreté, d’en rire avec de l’humour noir même et changer les représentations, casser les clichés pour vivre ensemble.

As-tu eu des difficultés pour entreprendre en étant une femme en situation de handicap ?

 Je ne suis pas seule à entreprendre, je suis avec mes associés donc j’ai peut-être une réponse biaisée. Pour le lien aux investisseurs, ce n’est pas moi qui m’en occupe. Auprès des utilisateurs, c’est au contraire un gage de réassurance de voir que c’est une personne en fauteuil qui a fondé le projet. En revanche, au sein de l’équipe, j’ai l’impression que je dois toujours faire mes preuves auprès des autres. Je dois régulièrement me rassurer. Du fait du handicap, il y a une fatigabilité plus importante et j’ai tendance à aller au-delà de mes limites pour pouvoir sortir le même travail que les autres. Cela me coûte beaucoup plus qu’une personne « valide » en énergie. Pour sa santé, il faut savoir identifier ses limites et ce n’est pas facile à accepter.

 Tu t’es d’ailleurs lancée sur Instagram pour parler de handicap sur ton compte @charlottealaux.

 

Cela me sert à évoquer le handicap avec légèreté et sans condescendance. Quand on n’est pas
confronté au handicap c’est normal de ne pas connaître. Il ne faut pas être dans le jugement des
gens en cas de maladresses mais il faut en rire pour qu’ils en prennent conscience et qu’ils évoluent.
D’autres personnes s’emparent de ce sujet : l’humoriste Lilia Benchabane est très drôle,
@lafillequiadestachesqui montre la réalité du quotidien, le sportif paralympique Théo Curin. Je pense
aussi à l’humoriste Guillaume Bats, malheureusement décédé. On peut parler du handicap sur
différents aspects : l’humour, le sport, l’entrepreneuriat, le numérique. Il faut que cela devienne une
normalité. Dans « Les Rencontres du Papotin » (sur France 2, ndlr), les journalistes sont en situation
de handicap mais ils parlent de thématiques autres. C’est important d’avoir des émissions comme
celle-ci. Des séries avec des personnes en situation de handicap sont maintenant des succès en prime
time par exemple « Toulouse Lautrec » (sur TF1, ndlr). A travers les réseaux sociaux, je veux
sensibiliser avec humour et apporter ma pierre à l’édifice.

 Peux-tu nous raconter les débuts de l’aventure Omni ?

 Cela a commencé en 2018. Cette année-là, j’ai rencontré mes futurs associés, quatre ingénieurs qui faisaient des études sur le « design thinking ». Il s’agit de se mettre à la place des utilisateurs pour développer des solutions, en l’occurrence ici sur la mobilité des personnes en situation de handicap pour leur projet d’études mais cela peut s’appliquer à tous les domaines. C’est très puissant comme modèle car on répond directement au besoin de l’utilisateur contrairement à d’autres écoles où l’on développe un produit avant de savoir comment le vendre. La première étape pour eux a été de se mettre en fauteuil roulant en immersion car ils ne connaissent pas du tout le handicap. Ils se sont rendu compte des difficultés pour se déplacer et du changement de regard des gens. Ensuite, il y a eu une phase d’observation, l’idée était de rencontrer des personnes concernées, des soignants et des aidants. Ma kiné nous a mis en relation à ce moment-là. Ça a été un coup de foudre avec eux. J’étais très impressionnée de voir que des « valides » mettaient autant d’énergie et d’intention à se mettre à notre place pour ressentir les frustrations vécues par les personnes en situation de handicap. On a commencé à faire des prototypes. On se voyait après le travail ou le week-end, je leur faisais des retours. L’idée de la trottinette venait du fait que les systèmes de motorisations amovibles existants coûtaient cher. Il y avait aussi le côté stigmatisant du fauteuil comme produit médical qui bloque certaines personnes. Ils se sont dit qu’avec la trottinette électrique, ils allaient hacker un produit grand public pour déstigmatiser le côté fauteuil roulant et rendre le prix plus abordable qu’une autre solution existante. Le tout premier prototype que j’ai testé était fait de bois et de métal et ne ressemblait à rien ! On était sur un modèle d’innovation « quick and dirty » c’est-à-dire des prototypes élaborés en 30 minutes pour pouvoir les retoucher ou les abandonner plus facilement s’il y a des difficultés ou des défauts. Dans le premier prototype, par exemple, il fallait se transférer sur un autre fauteuil pas adapté à l’utilisateur. J’ai été la première à essayer Omni. On a tâtonné pendant un moment jusqu’à faire la présentation du prototype à la fin de l’année universitaire. On l’avait fait aussi tester à une cinquantaine de personnes à mobilité réduite pendant le processus de réflexion et il y avait un vrai engouement. J’avais compris que les garçons voulaient créer une entreprise pour pouvoir le rendre accessible au grand public. Je leur ai annoncé que je voulais faire partie de l’aventure et ils étaient ravis car ils attendaient que la demande vienne de moi. Je me suis mise à 80% chez Airbus et à 20% chez Omni au début. On était dans la phase d’industrialisation pour passer du prototype au produit. Cela a pris 2 ans alors que l’on pensait que cela prendrait 6 mois. C’était beaucoup plus compliqué que ce que l’on pensait de faire un produit qui fonctionne avec tous les modèles fauteuils roulants, de passer tous les tests en laboratoire pour la sécurité et de déposer les brevets. Après 2 ans de recherche et développement, cela fait 3 ans que l’on commercialise Omni avec environ 1500 utilisateurs partout en France.

 Vous avez maintenant plusieurs produits, le système de fixation et la Omni trott’ ?

 Au début, on vendait uniquement le système de fixation entre le fauteuil roulant et la trottinette. On a développé notre propre trottinette suite au retour des utilisateurs de la communauté Omni. L’expérience n’était pas optimale car la plupart des trottinettes électriques vendues dans le commerce ne sont pas adaptées à un usage en fauteuil roulant : le guidon est loin, le système de freinage n’est pas idéal, le plateau peut être très haut etc…On a développé notre propre trottinette en s’appuyant sur un produit de base mais avec des modifications pour avoir un produit maniable et expérience optimale : le guidon est bas et rapproché, le système de freinage est renforcé. Dans une démarche d’inclusion et de partage, on peut tout de même remettre le guidon droit pour usage debout « valide ».

 Quels sont les avantages de la trottinette Omni ?

 Au-delà de la facilitation des déplacements et du prix abordable, il y a un changement de regard des passants sur le handicap. Ils nous interpellent, ils sont étonnés, certaines personnes « valides » ont même envie d’essayer ! On peut l’utiliser à l’allure du pas sur le trottoir ou dans les magasins mais également à la vitesse d’un vélo pour un usage loisirs et déplacements pour les trajets quotidiens. A titre personnel, je ne prends plus ma voiture, j’utilise uniquement ma Omni trott’ sur les pistes cyclables. C’est agréable d’être parmi les autres usagers, de faire des balades en famille. Selon notre étude d’impact, les utilisateurs sortent 2 fois plus de chez eux dans la semaine et ont 4 fois plus d’interactions avec des inconnus grâce à Omni. 52% des clients utilisent moins leur voiture et 10% ont abandonné complètement la voiture. Face aux embouteillages, au manque de places handicapées, à la piétonisation des villes et au manque d’accessibilité des transports en commun, cela donne une alternative avec de la spontanéité dans les déplacements. Cela diminue la charge mentale des personnes en situation de handicap qui doivent souvent tout anticiper. A titre personnel, je me sens beaucoup moins fatiguée grâce à la trottinette. Je n’ai plus à anticiper le temps pour trouver un place adaptée, pour faire les transferts dans la voiture. Avec la trottinette, je mets 25 minutes à me rendre au bureau tandis qu’en voiture c’est variable je dois prévoir une bonne heure à cause des transferts et des embouteillages notamment.

 A partir de quel âge peut-on utiliser Omni ?

 Selon la loi LOM, on ne peut pas utiliser une trottinette électrique avant 14 ans. Avant septembre 2023 la limite était fixée à 12 ans, donc actuellement nous avons des utilisateurs entre 12 et 92 ans. Pour un usage « debout », on n’imagine pas une personne âgée sur une trottinette mais avec Omni, c’est beaucoup plus stable. Nous avons des utilisateurs de tous les âges qui vont en cours, au travail, faire leurs courses avec la trottinette. Pour un usage loisirs, c’est le plaisir de pouvoir être autonome sur les petits chemins ou en ville dans les magasins et de permettre à nos proches de profiter pleinement du moment avec nous sans avoir besoin de nous aider.

 Comment peut-on financer son achat de trottinette chez Omni ?

 Ce n’est pas pris en charge par la Sécurité sociale. Il aurait fallu passer une étude clinique qui est coûteuse donc on ne l’a pas fait car on aurait dû augmenter le prix de vente pour compenser. Actuellement, on travaille aux côtés des pouvoirs publics (Etats et collectivités) pour rendre accessibles les mobilités douces aux personnes à mobilité réduite quelque soient leurs moyens c’est-à-dire adapter les aides financières existantes pour les « valides », comme « le bonus vélo » par exemple, aux personnes à mobilité réduite. Il y a aussi le forfait « mobilités durables » financé par les entreprises pour les salariés. C’est une question d’équité, cela doit devenir une évidence. En tant qu’entreprise,, nous prenons nos responsabilités pour faire avancer les choses donc les élus doivent aussi prendre leur part. Nous sommes en discussion avec différents acteurs, on espère faire des annonces rapidement. Si on y arrive, cela bénéficiera à tous les acteurs qui développent des solutions de motorisations pour fauteuil, pas seulement à Omni. Nous voulons créer un référentiel vertueux pour toutes les parties prenantes qui veulent faire avancer les choses. Par ailleurs, en tant qu’utilisateur, on peut faire des démarches auprès de la MDPH pour obtenir une aide financière.

 Quelle est la différence de prix entre la trottinette Omni et les autres offres existantes ?

 On se place sur le marché des motorisations amovibles. La moyenne des prix est de 5000 euros. Chez Omni, nous avons un pack système de fixation et trottinette électrique à 999 euros avec 20 kilomètres d’autonomie. On divise le coût par 5. Cela permet de démocratiser la mobilité en fauteuil roulant mais cela reste un budget notamment pour les bénéficiaires de l’AAH, c’est pour cela que nous travaillons avec les acteurs publics pour rendre la trottinette encore plus accessible.

 Quels sont les prochains objectifs d’Omni ?

Nous voulons continuer à développer la commercialisation en France mais également se développer en Europe. De mon côté, je continue à porter ma vision du handicap notamment sur les réseaux sociaux pour créer à mon humble échelle une société dans laquelle toutes les petites Charlotte de 4 ans sauront que le monde est prêt à les accueillir.

Encouragerais-tu  les personnes en situation de handicap à entreprendre ?

 J’encourage à le faire car il y a encore plein de choses qui méritent d’être inventées. Ma recommandation c’est de ne pas le faire seul(e). Je suis très admirative des personnes valides ou en situation de handicap qui entreprennent seuls. Si on est seul, il faut vraiment être entouré dans sphère professionnelle et personnelle. C’est faisable, il y a plein de choses à faire. La France soutient beaucoup l’entreprenariat.  Il ne faut pas non plus se dire que c’est la solution idéale c’est quand même beaucoup de responsabilités et des contraintes à assumer. Il y a des avantages et des inconvénients, cela dépend de chacun. Si je dois citer une entrepreneuse en situation de handicap qui m’impressionne, ce serait Rajae El Harrak la fondatrice de Veebya une société de VTC adaptés qui a entrepris toute seule. C’est une pépite !