Portrait de Virginie Dub

Virginie a 38 ans et depuis quelques années, elle dédie son temps libre à la sensibilisation au handicap et à changer le regard de la société afin de montrer qu’un fauteuil roulant n’empêche pas de vivre une vie exaltante. Le destin peut parfois jouer de mauvais tours et Virginie en a pris conscience en 2018. Alors qu’elle partait en voyage en Amérique du Sud pour quitter son quotidien devenu néfaste pour elle, elle va traverser les paysages de l’Amérique du Sud pendant 5 mois, pour finir au Costa Rica. Découvrant de nouvelles cultures et de nouvelles activités, elle y laissera une partie de son ancienne vie, à la suite d’un grave accident survenu lors d’une initiation au surf. Le 26 avril 2018 marque le début du reste de sa vie.

26/04/2018, le début du reste de ta vie, tu peux nous expliquer ce qui s’est passé ce jour-là ?
J’ai toujours travaillé dans le secteur du luxe, depuis une dizaine d’années à Paris. Au bout de 10 ans, j’ai eu une saturation de cette vie Parisienne, de ce milieu, je me trouvais un peu trop matérialiste et j’avais envie d’une rupture, j’ai donc pris un congé sabbatique de 6 mois et je suis partie toute seule en Amérique du Sud avec un sac à dos, voyager et découvrir de nouvelles terres. Je suis partie dans une optique très minimaliste, sac à dos, plus de marques, plus d’artifices, juste un jean, des tongs et un tee-shirt. Ça m’a permis de renouer avec des valeurs plus authentiques en rencontrant des locaux, en voyageant d’auberge en auberge, échanger et découvrir spontanément des lieux magnifiques. J’ai fait des rencontres merveilleuses pendant 5 mois et justement le 26 avril 2018 j’étais au Costa Rica et j’ai décidé de faire une initiation au surf, parce que là-bas, c’est le sport national et j’avais envie de découvrir. C’est la première fois, je n’avais jamais fait de surf. On commence par apprendre les bases sur le sable puis vient le moment d’aller à l’eau pour commencer à découvrir les sensations. Première vague tout va bien, deuxième pareil, puis vient la troisième, je tombe de ma planche, elle vient me taper dans le cou et propulse mon cou contre le sable, c’était comme si je tapais un mur de béton et je sens mon cou se fracturer et mon corps se paralyser et je me suis noyée. C’est le point de départ d’une longue série de problèmes : infection pulmonaire, 3 arrêts cardiaques, coma, transféré d’hôpital en hôpital et deux jours plus tard, j’ai repris connaissance dans une clinique de santé Rosé du Costa Rica. À mon réveil, la première chose que je vois c’est ma famille.

Ça m’a fait un choc, car ça faisait 5 mois que j’étais partie seule à l’étranger et je comprends qu’il y a quelque chose. Je me souvenais de tout ce qui s’était passé durant l’accident, la planche de surf, mon cou qui se brise mais la suite pas du tout, j’ai juste remarqué à mon réveil, que je ne pouvais plus bouger.

Comment vis-tu cette situation à ton réveil ? Comment te sens-tu ?
J’étais dans un déni total ! J’étais super heureuse de voir mes proches et mes amis, j’étais complètement à l’ouest, j’étais encore dans mon délire de road trip à demander des mojitos et qu’on me pèse. J’ai toujours eu un souci avec le poids et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’ont poussé à partir. J’avais toujours cette pression que je me mettais pour avoir une apparence physique toujours impeccable au niveau du poids, de l’activité physique, d’être toujours bien apprêtée… Pour moi, être rapatriée à Paris, 10 jours après mon accident, ça allait me guérir. Je me disais « ok tu as eu un accident, tu sais ce que tu as, mais en rentrant je vais guérir, tout ira mieux ». Je n’ai jamais entendu les médecins prononcer le diagnostic, jamais entendu le mot tétraplégique donc je n’avais pas conscience réellement de mon état physique.

Tu vas rentrer en France, est-ce que tu vas prendre conscience de la gravité de tes blessures ?
Ma famille savait le diagnostic car les médecins au Costa Rica leur avaient dit « elle est atteinte d’une tétraplégie complète avec aide inspiratoire à vie », mais ma famille ne m’a rien dit. Il y avait un problème, un autre problème majeur, c’était que pendant mon voyage, je n’avais pas pris d’assurance. Avec ma carte bleue, j’avais le droit à 90 jours d’assurance, je me suis dit, je pars comme ça, peut-être que dans un mois j’en aurais marre et je rentrerais, mais ça n’a pas été le cas et j’ai oublié de souscrire à une autre assurance. C’était problématique, parce qu’il fallait payer les frais médicaux mais surtout il fallait que je rentre chez moi, à Paris. Ça était le parcours du combattant pour trouver des solutions, remplir des tas de papiers administratifs pour ma sœur et mes amis. En plus de ça, c’était pendant le pont du 8 mai, donc toutes les banques en France étaient fermées. J’étais responsable commerciale chez Swarovski et parmi mes clients, il y en avait un qui connaissait très bien le patron de Mondiale Assistance. On a réussi à rendre disponible un avion, mais c’était super coûteux…

Dans mes souvenirs ça coûtait 125 000 € et on a trouvé un de mes clients qui avait beaucoup de trésorerie, qui a fait un virement égal à la somme demandée pour affréter l’avion à ma sœur pour débloquer la situation. J’ai appris ça bien après, car sur le coût on ne voulait pas m’embêter avec tous ces soucis. J’ai cumulé les problèmes, de base quand on souscrit à une assurance, il s’occupe du rapatriement, de trouver un hôpital proche de chez soi pour assurer les soins et faire en sorte que le patient soit bien suivi, mais comme je n’avais pas souscrit à une assurance, il a fallu également trouver un hôpital prêt à me prendre en charge. Ma sœur a passé plusieurs coups de téléphone et plusieurs hôpitaux ont refusé de me prendre en charge en prétextant des problèmes de place.

Ma sœur a réussi à trouver une solution, elle travaillait dans un gros laboratoire pharmaceutique et elle a activé tout son réseau et débloque la situation en me trouvant une place en réanimation à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière de Paris
dans le service de neurochirurgie. Je suis arrivée dans ce nouvel hôpital et le diagnostic était rassurant dans le sens où les médecins ont dit que l’équipe qui m’a prise en charge au Costa Rica avait fait un excellent travail et ils ont confirmé le diagnostic : tétraplégie complète avec assistance respiratoire. Ce que je ne savais pas c’est que ma moelle épinière a été touchée au plus haut niveau : C1, C2, au niveau des cervicales suite à des fractures de C1 à C2 et de C4 à C7 et pour consolider ces cervicales, d’habitude on met une arthrodèse qui consiste à « souder » entre elles plusieurs vertèbres, grâce à du matériel métallique (vis, plaques, tiges), de façon à ce qu’elles ne puissent plus bouger les unes par rapport aux autres. Dans mon cas, on ne m’a pas fait ça, car ma tête serait mon seul mouvement possible pour bouger un fauteuil, donc ils ne voulaient pas viser les cervicales car je n’aurais plus cette mobilité. À la place on m’a posé un halo crânien, j’avais deux visses à l’avant de ma tête et également à l’arrière liées avec des barres en fer et un corset pour pouvoir consolider mes cervicales et ça durant trois mois. Je ne me suis pas vue depuis très longtemps avec cet appareil et personne ne voulait me montrer à quoi je ressemblais. Je ne pouvais plus bouger, j’avais une trachéotomie, j’étais vraiment inerte. Il y avait juste ma bouche, mon nez et mes yeux qui bougeaient. On m’a mis à disposition une tablette pour que je puisse regarder des films durant la journée et c’est là que j’ai vu, dans le reflet de la tablette, à quoi je ressemblais vraiment avec tous ces tubes, ces visses… C’était terrible.

Dans l’acceptation de ton accident, comment te sens-tu mentalement maintenant avec ce nouveau corps ?
Niveau acceptation, au départ c’était un peu compliqué, parce que quand tu es à l’hôpital et que tu es confrontée qu’à des personnes qui ont, eux aussi, un handicap, c’est plus facile. Mais une fois sortie, quand je me retrouve seule dans la rue, je suis confrontée aux regards des autres, j’avais l’impression qu’on me dévisageait. Puis, tu as ce fauteuil, sans lui je ne peux rien faire et en même temps, il n’est pas glamour, il est gros, il prend de la place, c’est moche, j’en avais honte, j’avais peur de gêner quand je rentrais dans les commerces, donc souvent je restais dehors à attendre mes proches. J’avoue que les premiers mois n’ont pas été faciles. Pour en rajouter, tu as aussi l’hostilité de la rue, les trottoirs pas du tout adaptés, les accès dans les magasins, pour aller au restaurant ou encore au théâtre. On se rend compte très vite qu’on ne colle pas avec l’environnement ou l’environnement n’est pas adapté pour tout le monde, et là c’est un gros choc. De passer du centre de rééducation où tout est adapté avec portes automatiques, de larges couloirs à dehors où ce n’est pas pratique de circuler avec un fauteuil, ce n’est pas facile.

Franchement, je me suis sentie exclue, j’ai senti que l’environnement qui m’entourait me rendait encore plus handicapée. Dans l’acceptation de ce nouveau corps, de ce nouveau quotidien ce n’est pas facile, alors quand tu dois lutter toute la journée, pour ouvrir une porte, entrer dans un commerce ou passer un trottoir, c’est compliqué. Il faut s’accrocher.

Quel message tu aurais envie de faire passer à nos chers lecteurs ou lectrices ?
Il faut être patient, le temps apporte beaucoup, quand on est plus d’un an après l’accident, ce n’est pas toujours facile d’accepter ce qui se passe. Il faut prendre le temps de bien faire les choses dans l’ordre, il ne faut pas se décourager, car il y a de belles choses qui l’attendent ! Je suis ravie de faire partie de ce magazine qui me permet de prendre la parole et de partager mon histoire !