Portrait de Yoann, para skieur alpin

Yoan Jeandemange, para skieur alpin depuis 2018, à la poursuite de son rêve d’atteindre le haut niveau nous livre son quotidien. En route vers une nouvelle saison sportive, Yoan est déterminé à se hisser d’un niveau !

Yoan, tu es aujourd’hui un para skieur épanoui, est-ce que tu voudrais nous expliquer comment tu en es arrivé là ?

Oui avec plaisir ! Mon rêve depuis tout petit était de devenir pilote de ligne. Je venais de finir mes études, j’étais devenu pilote professionnel un an avant l’accident. Et trois jours avant l’accident, je passais la sélection chez EasyJet pour être copilote. Le 31 juillet 2017, j’ai eu un accident d’avion sans que je sois aux commandes. Au crash, l’avion s’est retourné de mon côté, et à exploser. J’ai été la principale victime, les autres n’ont quasiment rien eu. J’ai fait 7 mois de réanimation au total, dont 3 mois à Turin. J’ai été transféré à Lton au pavillon des grands brûlés à Édouard Herriot. Dans mon parcours, il y a eu une étape assez importante car j’étais déjà un skieur depuis tout petit.

Tu habitais en montagne, c’est bien ça ?

Oui, petit j’habitais dans la vallée, mais j’ai toujours aimé faire du ski avec mes parents et mes amis. Mon père, il était très fort
en poudreuse, il m’a bien guidé, j’étais plus un skieur de hors-piste avant, même si je n’en faisais pas beaucoup c’était vraiment ça qui me faisait aimer la pratique. Et d’ailleurs, je n’avais jamais fait de piquets avant que je commence le para ski alpin sur une jambe. Magazine Pendant que j’étais à l’hôpital, se déroulaient en même temps les Jeux Olympiques de Pyeongchang en 2018. Ça a été un vrai élément déclencheur, de voir nos français là, pendant les Jeux, gagner des médailles, je pense à Perrine Laffont en bosses ou à un Victor Muffat Jeandet. À ce moment-là je ne marchais pas encore, je commençais petit à petit à retrouver l’équilibre sur une jambe, mais le fait de voir les Jeux, de voir ces émotions, j’ai tout de suite eu envie de refaire du ski.

Magazine [in]visibles n°4.

Pourquoi as-tu choisi le para ski alpin ?

Au moment de l’accident j’ai eu la chance d’être bien entouré par mon entourage.
J’ai immédiatement eu cette volonté de trouver un nouveau rêve, en vérité j’avais besoin de quelque chose qui me porte
car je n’aime pas la routine ! Au départ les médecins ne souhaitaient pas se prononcer, je commençais à être sorti d’affaires, du moins du risque vital. J’ai rapidement annoncé durant ma rééducation mon envie de refaire du ski même si le corps médical n’en était pas vraiment favorable. Il m’a d’abord fallu tout réapprendre, de A à Z, et surtout dans les gestes du quotidien. En discutant avec l’orthoprothésiste, qui s’est occupée de mes prothèses, j’ai découvert qu’un week-end à Chamrousse était organisé pour essayer des prothèses. Je savais maintenant, avec le temps, que je pourrais monter à nouveau sur les skis, même en étant amputé.

Parle-nous de ta carrière, comment s’est passée ton évolution ?

Malgré ma rééducation, je rajoutais des séances supplémentaires pour me remuscler, car j’avais perdu énormément de poids, Magazine je suis descendu à 41 kilos alors que j’en faisais presque 80. Donc, même si j’ai repris à l’hôpital, je devais travailler davantage pour retrouver de la masse musculaire. Je faisais d’autres séances de kiné le soir, je faisais de la salle, de la proprioception, des exercices sur machines pour renforcer l’extension, tout ça pour être prêt pour mon premier week- end de ski. Le ski a été mon antidépresseur, il m’a permis d’arrêter les médicaments car j’ai rapidement compris que le ski prenait le relais sur tout ce que j’avais traversé. Après ça, j’ai commencé à skier avec une prothèse et j’ai fait deux hivers comme ça, mais en loisir d’abord. C’est vraiment l’hiver du Covid qui a été un tournant. Quand les stations ont fermé un mois plus tôt, je venais tout juste de retrouver ma liberté avec ma voiture après trois ans de rééducation.

Ça a été un coup dur de perdre cette liberté à nouveau, comme pour tout le monde, mais pour moi, ça avait une saveur particulière. L’hiver suivant, j’ai commencé à skier sur une jambe en débutant sur le tapis à Passy, à Ski Indoor 4810, accompagné de Laurent, qui est un peu mon mentor. Laurent est unijambiste et ancien membre de l’équipe de France, il a participé aux Jeux de Vancouver en 2010. On a découvert ensemble le ski sur tapis, puis j’ai enchaîné une vingtaine de séances avant d’aller skier en Suisse. L’été suivant, en 2021, le président du Ski Club des Carroz m’a contacté après avoir vu une interview de moi sur TV8 Mont- Blanc, où je disais que je cherchais un club pour m’entraîner. Il m’a proposé d’intégrer le groupe U16 et de participer à tous leurs stages et entraînements. Depuis, je m’entraîne avec eux. Lors de l’hiver 2021- 2022, j’ai fait ma première saison en Coupe de France, et c’est là que j’ai commencé à me familiariser avec le slalom, à reprendre les piquets. Ma première course de slalom était à Combloux, en janvier 2022, et même si c’était compliqué, c’était un début.

Ma progression a été rapide, et lors de mon deuxième slalom en mars, j’ai réussi à battre Laurent, c’était mon premier podium, une énorme satisfaction et une étape importante dans mon évolution. Depuis, je continue les entraînements intensifs. Il faut tout aligner, la préparation physique, mentale, la nutrition, pour que tout soit propice à ma carrière. C’est un travail colossal, et au début, avec l’euphorie, on se dit que ça va être simple, mais en réalité, c’est un travail constant pour continuer à progresser. Heureusement, il y a encore des choses à améliorer, mais l’objectif reste d’aller le plus vite possible et de courir après les chronos.

Est-ce que tu as d’autres conseils à donner ou des choses que tu aimerais partager à nos lecteurs sur tout ce que tu vis maintenant grâce au sport ?

Pour tous les lecteurs, qu’ils soient handicapés ou pas, je pense qu’il faut toujours avoir un rêve, un objectif ou des objectifs. Finalement. c’est de cette façon que je vois la résilience. Après mon accident, on m’a dit rapidement parlé de résilience, mais je ne savais pas réellement comment l’interpréter. Et pour moi, la résilience, c’est d’avoir un rêve, des objectifs et surtout de se donner les moyens d’y arriver. Il faut savoir aussi que ça ne viendra jamais tout seul, si on ne travaille pas dur pour y arriver, on n’aura jamais rien. Il ne faut jamais arrêter d’y croire et il faut toujours se raccrocher à ça !

Et tu sembles avoir fait de belles rencontres !

C’est sûr qu’il y a toujours une part de chance dans tout ça. Est-ce qu’on l’attire ou pas, je ne sais pas ! Ce que je sais, c’est qu’il y a plusieurs façons de voir les choses. Mais sachez qu’il ne faut pas baisser les bras et toujours essayer de surmonter les épreuves, que ce soit pour une maladie, que ce soit pour tout ce qui peut se passer dans la vie, il y a toujours des choses compliquées qui peuvent se présenter, mais il est nécessaire de garder la foi et de bosser pour s’en sortir !